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la rIME
La rIME : Le projet Musique 2010-11, pourquoi, comment ?
Voici le projet de musique tel que je l'ai pensé et présenté à ma Direction dans le détail lors de sa mise en route à l'IME Vaurouzé au Mans à la rentrée scolaire 2009-2010.
PROJET SOCIO EDUCATIF :
UN GROUPE DE ROCK POUR et AVEC DES ADOLESCENTS
PORTEURS D’UN HANDICAP
I.M.E VAUROUZE 2009 - 2010
« Créer et produire un spectacle de qualité,
Valoriser l’individu dans son rôle social,
Vivre une expérience d’adolescent,
Etre un acteur à part entière,
Se trouver estimable.»
Depuis 1992 et ma rencontre avec le métier d’Educateur Spécialisé, j’ai eu la chance en tant que professionnel de pouvoir découvrir et participer en institution à des actions éducatives artistiques théâtrales et musicales.
Auprès de jeunes déficients intellectuels, dépendant de la protection de l’enfance ou délinquants, le constat est unique et sans cesse observé : la musique sous ses multiples formes permet d’aller au-delà des différences et les clivages. Elle rassemble, apaise, elle est un moyen de communication qui dépasse les codes du langage. La musique possède en elle-même des vertus socialisantes. Elle permet aux jeunes « différents », en rupture, pour qui communiquer est difficile, de pouvoir faire évoluer leur rapport à eux-mêmes et à leur environnement.
Fort de ces convictions, j’ai mis en place cette année une activité musique aux objectifs ambitieux qui sortent de la pratique à huis clos : monter un groupe de rock, enregistrer en studio et organiser des représentations dans l’espace public.
En voici les raisons, les modalités, les objectifs, les moyens et les prévisions.
Un « groupe de rock » : pourquoi ?
L’intérêt principal de la forme musicale du « groupe » est de permettre aux participants d’expérimenter leur place unique et nécessaire. Le groupe n’a de cohérence que grâce à la complémentaire singularité de chacun. Chaque instrument a une sonorité qui complète celle des autres. Rythme, percussion, accord, mélodie, son grave, son aigu, fort, doux,… C’est l’association de ces différences qui donne la richesse du résultat, qui le rend agréable à l’écoute. L’autre est ainsi vécu comme un égal différent. Egal parce que chacun est un rouage de la machine sans qui elle ne pourrait fonctionner. Différent car l’autre n’émet pas les mêmes son, ne prend pas la même place dans l’ensemble. Par exemple, la cohérence et la droiture de la basse et de la batterie sont essentiels mais seraient peu de choses sans la mélodie du chant ou l’accord du piano et réciproquement.
Au-delà du simple fait de jouer d’un instrument, c’est tout un travail de sa propre place, de son rapport à l’autre et de sa capacité d’action qui est en jeu dans un atelier de musique tel que celui-ci, proposé à des adolescents présentant un handicap.
Le « groupe » devient ainsi une école de socialisation, une école d’écoute et de respect mutuel, permettant la reconnaissance de chacun comme étant un acteur à part entière. Cette école n’apparaît pas comme quelque chose de contraignant, c’est là la dimension magique et unique de la musique.
Le plaisir vécu de se sentir capable, de s’entendre produire des sons cohérents et intelligibles et de se sentir utile et reconnu par ses pairs rendent les contraintes tout à fait acceptables. Ceci est d’autant plus vrai pour des jeunes qui n’ont vécu qu’échecs, moqueries et dévalorisation du fait de leur handicap ou de leur trouble du développement. Cela est observable chez tous les jeunes participants, quelles que soient leurs difficultés et handicap : leur attitude dans le cadre de l’activité est très souvent exemplaire, sans agitation particulière. Quand recadrage il y a, il est vite accepté. Peu d’activités permettent d’obtenir de tels résultats avec des jeunes parfois en grande souffrance psychique, qui ont des rapports très conflictuels avec leur environnement.
Le travail en groupe agit sur la confiance en soi et en l’autre. Produire un son nécessite d’avoir confiance dans le groupe et vice-versa. Il développe l’expression individuelle, l’entraide et la solidarité, l’individu est soutenu et porté par le collectif.
Déroulement /modalités d’action
L’activité de musique est hebdomadaire et dure trois heures et demie réparties comme suit : 1h30 de travail individuel ou en duo, 2h de travail de groupe.
Pour qui ?
Elle s’adresse à 5 jeunes participants présentant des niveaux de handicaps, des sexes, des âges différents. C’est une activité transversale à l’institution. L’hétérogénéité ainsi crée est essentielle dans son bon déroulement : les jeunes sortis de leurs pôles respectifs sont confrontés à d’autres dans l’institution.
Cela permet aux plus efficients de rencontrer ceux plus en difficulté dans leurs différences mais aussi au travers de leurs potentiels, d’appréhender les notions de respect et d’ouverture. Pour les jeunes qui présentent de grandes difficultés relationnelles et qui ont l’habitude d’être en conflit avec leurs pairs parfois de manière systématique et obsessionnelle, sortir du quotidien leurs permet d’établir des relations nouvelles et de se montrer autrement. Il s’agit ici de sortir des étiquettes, des préjugés qui bien souvent sont des freins à l’évolution des jeunes en question.
Bon nombre d’entre eux ont souhaité s’inscrire à l’activité, d’où la mise en place en début d’année de séances d’essai qui ont débouché sur une sélection. Deux critères ont présidé dans le choix final : faire un groupe équilibré en terme de jeunes plus ou moins autonomes sur le plan relationnel et prendre des jeunes pour qui la musique a une résonance et une signification particulière.
Le groupe est donc composé d’adolescents et de jeunes adultes qui ont souhaité participer et qui aiment la musique. Ces deux critères sont aussi essentiels pour le bon déroulement de l’activité. Les effets positifs cités plus haut ne se seraient certainement pas produits avec des participants non motivés.
Comment ?
L’idée est d’initier les jeunes à l’un des instruments de musique suivants : batterie, basse, guitare, clavier, percussions et chant. Au départ chacun « tourne » sur les instruments différents et doit choisir l’un d’eux en particulier. L’encadrant peut être amené à orienter le jeune (en fonction de ses capacités motrices, de dons particuliers,…). Cela se fait d’un commun accord.
Nous passons ensuite par une phase d’apprentissage de techniques de base en fonction du potentiel de chacun. Il s’agit d’adapter le travail aux participants et non l’inverse pour rendre ludique et accessible l’apport de leur présence dans le groupe. Très rapidement, j’essaie d’augmenter le niveau de difficulté des exercices dans un soucis de faire progresser et faire ressentir aux participant leur progression, ce qui est source de motivation et de prise de conscience de leurs propres capacités d’exécution.
Il arrive un moment où les jeunes « proposent » une phrase musicale personnelle. A moi alors d’être attentif et à l’écoute : de telles phrases sont ainsi à l’origine des morceaux que nous composons. J’écoute leurs improvisations, je récupère leurs idées et propose des arrangements pour le reste des instruments. Chacun participe à un moment ou à un autre à la composition de la musique, ce sont des créations communes.
Ainsi le rôle de l’intervenant oscille entre deux mouvements perpétuels : proposer ses compétences techniques musicales et éducatives, observer ce que le jeune en fait et rebondir dessus en faisant de nouvelles propositions, et ainsi de suite…
Quelques règles de base sont établies dès les premières séances : nous démarrons et finissons un morceau dans le silence, il faut respecter les échanges verbaux en ne faisant pas de musique, le montage et démontage du matériel se fait en commun.
Des objectifs qui dépassent les murs de l’I.M.E
Si un travail important se fait en interne au groupe au niveau interpersonnel, un autre tout aussi essentiel est de pouvoir sortir des murs de l’institution et de présenter à la collectivité le travail accomplis.
Les objectifs de cette démarche est à double sens : il s’agit de valoriser le rôle social des participants en leur permettant d’intervenir directement dans la vie locale et d’influencer positivement le regard de la société sur les personnes handicapées.
Différents axes de travail sont ainsi explorés :
- S’inscrire dans les réseaux de musiques actuelles en répétant dans des salles reconnues au niveau local comme tout musicien, valide ou non.
- Participer au festival A.C.T.E.S qui permet pendant trois jours à des personnes handicapées de présenter leur travail artistique dans une salle municipale et dans des conditions habituelles de scène (ingénieur du son, lumières, « balances »,…).
- Jouer en public en participant à des manifestations : fête de la musique, tremplins, scènes partagées avec des personnes valides,…
- Enregistrer dans un studio sur plusieurs jours dans des conditions réelles comme tout artiste afin de produire un CD audio de qualité. Grâce à ce support, nous pourrons démarcher des lieux de concert et laisser aux participants une trace de leur travail dont ils pourront être fiers.
L’idée est aussi de vendre le CD lors des concerts et en institution afin d’accumuler des fonds pour l’année suivante et pérenniser ce genre d’action : d’autres jeunes pourront en bénéficier, leur travail aura donc une finalité bien réelle, observable, utile à la communauté.
- Se faire connaître par le biais de la presse écrite et en participant à des émissions de radio. Là encore, le support audio pourra permettre ce genre d’action. Valoriser le potentiel des personnes handicapées pour elles-mêmes et pour la société, tel est l’objectif principal de cette opération.
CONCLUSION
Notre société, exigeante en termes de savoirs faire individuels, apparaît parfois comme un rempart hermétique à l’intégration de personnes porteuses d’un handicap. Les voies sont souvent toutes tracées pour celles-ci qui, parfois, auront un parcours formaté d’institution spécialisée en institution.
L’expérience du « groupe de rock » tend à rompre avec cette réalité en tissant des liens entre le monde du handicap et la société en général.
L’intégration socio professionnelle des personnes handicapées se heurte bien souvent à leurs propres difficultés relationnelles et à leurs troubles de la communication. Travailler ces relations en amont, par le biais d’activités éducatives telle que celle-ci est un élément important dans la réussite de leur intégration, de leur parcours de vie : telle est ma conviction et le moteur des actions entreprises jusqu’à présent.
Tout adolescent, quel qu’il soit, a besoin de se sentir utile, d’avoir des rêves et des passions, d’être reconnu positivement par la communauté et de se sentir estimable pour envisager accéder au monde adulte : autonomie, vie affective, logement, travail.
Que dire donc de ces jeunes en échec scolaire, dont les autres se sont moqués à cause de leur différence, dont on observe qu’ils rencontrent des difficultés sociales et familiales de plus en plus importantes ?
Universelle, vécue par chacun, la musique est l’un de ces traits d’union qui lie l’individu à la collectivité. C’est un support d’une richesse infinie pour tout travailleur social qui souhaite travailler ces questions, dont le travail tend à mettre la personne aidée et ses choix au centre de l’action éducative.